En eaux troubles...

247 - Elle est venue au rendez-vous.

Il leur a fallu un peu de temps pour retrouver la magie des mots et des écrits quotidiens, ainsi que d’adapter leurs physiques respectifs, quand même différents de ceux que l’imaginaire a construit entre elle et lui depuis tous ces mois à se parler par l’intermédiaire d’un écran, sans se connaître vraiment…

Première rencontre. On se jauge, on sourit.

Elle ne parle pas. Du coup, c’est lui le plus volubile, lui qui pérore tout en l’observant à la dérobée entre deux envolées lyriques, tentant sournoisement de prendre le dessus d'emblée.

Au fond, il est soulagé, elle est plutôt plus jolie que sur cette micro photo d’elle affichée sur MSN… Elle ne le trouve pas désagréable, il fait plus jeune que sur l’image figée accolée à son pseudo et qui l’identifiait dans son esprit depuis les prémices de leur rencontre virtuelle. Elle aime son sourire et s’amuse à le voir un peu gêné, parlant vite, probablement pour tenter de cacher son trouble de la rencontrer enfin, et aussi une timidité plutôt inattendue.

Le souci avec le Net, c’est que l’on va très loin dans le fantasme, s’écrivant des choses si troublantes qui font tellement battre le cœur et vibrer les corps au plus profond de l’intime qu’on a peur d’une terrible déception à l’instant de la rencontre.

Les émois virtuels cessent de l’être le jour où les amants potentiels se voient enfin. Si le désir ne s’est pas envolé pour de bon devant un physique peu à l’aune de ses habitudes à la seconde où les regards se croisent et qu’on peut mettre un visage et un corps sur le pseudo auquel on cause depuis des mois, alors tout est possible ensuite.

Mais beaucoup d’histoires nées sur la toile s’arrêtent net à ce moment précis où le ressort de l’imaginaire casse pour de bon à cause d’une réalité qui n’est pas conforme à son attente, sans rémission.

On fait les choses à l’envers, derrière son écran.

Dans la vraie vie, on commence par un sourire, un regard, un parfum, avant de découvrir si on s’entend sexuellement. Sur le Net, c’est exactement l’inverse, on fait abstraction de l’attrait charnel visuel en privilégiant un ressenti, des troubles communs, des désirs secrets.

On est si proche et en totale communion qu’on parle vite de cul, d’érotisme ou de pure pornographie avec une inconnue sur qui on plaque ses propres désirs, ou avec laquelle on est ravi de constater cette osmose incroyable…

On jouit séparément sur les mots de l’autre, ou en sublimant une histoire romantico-érotique faite de désirs partagés, d’interdits et de tabous brisés, ou de non-dits, parfois.

Jusqu’au jour où la rencontre live vient soit hâter la fin du jeu parce que décidément les corps ne s’accorderont jamais, ("Dieu qu’il est moche !") soit ouvrir immédiatement une suite potentielle, parce que: "bon sang qu’elle est jolie et qu’elle lui plaît !"

C’est le cas, ici… Ils entament une autre partie cette fois. Une page est tournée, celle de l’inconnu. Il faut vite franchir le pas, passer à la suite, au réel, et ne pas être déçus par de petits détails que l’on découvre sur l’autre et que la fameuse magie du Net a omis d’accentuer.

Il l’a souvent fessée "pour de faux" mais avec le goût du vrai dans leurs jeux écrits, dans leurs échanges. Il lui a raconté l’histoire, ce premier moment de complicité partagée sous diverses formes et autant de versions qui la font mouiller en secret au fil des lignes. Dans une chambre anonyme, dehors lors d’une ballade nocturne, au sortir d’un restaurant où elle s’est montrée odieuse, à l’hôtel, dans la forêt, voire devant témoins.

Le retroussage, l’envie, la peur, la honte mêlée. L’excitation réelle qu’il va leur falloir quelques instants à retrouver en vrai cette fois, histoire de passer aux choses sérieuses.

Enfin… Elle ne parle pas. Elle ne peut pas de toute façon. Chez elle, tout passe dans le regard. Son sourire. Ses troubles, ses joues qui rougissent lorsque prenant les rênes et lui parlant à l’oreille en retrouvant la verve d’internet, il lui raconte ce qu’il a envie de faire d’elle au sortir de ce café où ils se sont retrouvés pour la première rencontre.

Elle est écarlate lorsqu’il laisse échapper quelques mots très précis qui lui font piquer un fard instantanément au moment où passe la jeune serveuse venue leur ramener la monnaie. Au moment de sortir, il a posé une main sur ses fesses, possessif déjà, et elle marche en regardant ses chaussures.

"Il va me donner une fessée, je vais être corrigée en travers de ses genoux, il va me déculotter, mon Dieu !…"

En fait elle ne pense plus qu’à ça et ses oreilles bourdonnent. Elle ne parle pas... Muette. Lui a pris un peu d’assurance et elle s’en veut de se sentir si gourde, de lui laisser le pouvoir d’un coup, sans l’ombre d’une résistance, elle si indocile et insolente parfois.

Mais c’est trop tard...
Dessins érotiques de l'Américaine Patty