1083 - L'ami Greg, de Bun Beating Fun m'envoie un petit mot comme il le fait de temps à autre depuis les USA pour se rappeler à mon bon souvenir et me présenter sa dernière fessée...
Allons, l'internationale amicale des fesseurs a de beaux jours devant elle et je ne perds pas de vue d'aller le voir officier du côté de New York un de ces jours, l'invitation fut lancée en son temps et tient toujours... Je promets d'en faire un reportage complet si ça arrive.
Dans son message, Greg me parle de "Shorn Women", bouquin passionnant qu'il vient de lire en anglais et me demande si je le connais, puisque on y relate de nombreuses fessées qui furent administrées dans les années 44 à 46 à des femmes coupables de s'être "mal conduites" durant la guerre. Terme large englobant bien des cas différents...
Oui. C'est la traduction d'un livre de Fabrice Virgili, historien français réputé, qui traite d'une période mal connue de notre histoire, dans l'ombre de l'euphorie, sur un sujet qui m'a toujours procuré un profond malaise: l'épuration, la tonte des femmes à la Libération, la vengeance de la foule et des résistants de la 25ème heure envers celles qui étaient soupçonnées de connivence avec l'ennemi.
Ces "salopes qui couchaient avec les Boches"...
Ou pas, d'ailleurs ! Dans ces périodes de flou et d'excès, vengeances, mesquineries, règlements de comptes souvent abusifs s'exercent, parfois sur des innocents et sont passé sous silence, pardonnés un peu vite, dégâts collatéraux bien réels, mais minimisés par la souffrance d'années d'Occupation.
La France "virile"...
Avec l'euphorie de la délivrance, le passage de l'ombre à la lumière enfin, la justice devient populaire, expéditive et sommaire: lynchage et mise à mort systématique pour les hommes, la honte publique pour les femmes qui ont failli. Dans la cohue et la hâte, tout passe. Quitte à vaguement regretter ensuite ces débordements, cet emportement de fleuve démonté, ce torrent de haine grossi par les eaux qui emporte et dévaste tout sur son passage.
La foule excitée fait peur, sa puissance de nuisance est énorme. Les manipulations parfois évidentes... Méchanceté, haine, jalousie, les mêmes ressorts qui entraînaient les dénonciations anonymes à la Kommandantur, quelques mois plus tôt. Parfois de la même plume. Et que dire des erreurs sur la personne, quand c'est trop tard ?
Au delà des innombrables malheureuses tondues en public (on parle de plus de 20 000 entre juin 1944 et jusqu'en février 1946 !), sorties de leurs maisons de force et exposées à la foule qui hurle, applaudit et rigole comme au Moyen-âge, il y a l'envie ancestrale d'humilier la femme, de la punir, de la dénuder en public, punition suprême, de la ramener à son "rang"...
Alors oui, il y eut aussi effectivement des fessées publiques, des châtiments bien loin des plaisirs érotiques que je cultive. Des femmes ont vraisemblablement été déculottées et corrigées à tour de bras, fesses à l'air sous les rugissements de joie d'un public en liesse comme le furent leurs semblables dans les excès de la Révolution Française, sous la Terreur deux siècles plus tôt.
Autant de "Théroigne de Méricourt" bafouées, en pleurs sous les claques et les rires.
Je ne dis pas que l'évocation de ces horreurs sexistes ne nous procure pas un trouble sournois, malsain, si on cherche dans les méandres de nos fantasmes et de notre part de sadomasochisme. Mais la réalité est loin du fantasme. Comment survit-on d'une telle humiliation publique, justifiée ou non ? Dans ces temps où le politiquement correct s'impose, nous qui accordons désormais tant d'importance aux psy de toutes sortes et pour tout, comment interpréter ces excès-là ?
Et moi ? Aurais-je applaudi dans la foule, infligé moi-même la punition sous les cris des femmes et les regards brillants des hommes (ou l'inverse d'ailleurs) qui se marrent de voir une femme fessée en public ou pleuré de honte et d'impuissance de voir une fille ainsi punie par la foule qui exulte sans pouvoir intervenir et faire cesser "ça"...
Je suis né bien après la fin de cette guerre-là... Collabo ? Résistant ? L'âme humaine est complexe. Qui peut savoir à rebours et une fois l'Histoire passée, comment on se comporte dans ces cas-là, après tant d'années de souffrance sous la botte de l'occupant ?
En tout cas, Brassens en a fait une chanson...
Un poème de Paul Eluard, "Comprenne qui voudra", porte précisément en exergue la phrase: "En ce temps-là, pour ne pas châtier les coupables, on maltraitait les filles. On alla même jusqu’à les tondre !"
Ses six premiers vers en disent long: "Comprenne qui voudra / Moi mon remords ce fut / La malheureuse qui resta / Sur le pavé / La victime raisonnable / À la robe déchirée..."
Le poète accompagnait son texte de quelques phrases expliquant son ressenti d'alors, en 1944:
"Réaction de colère. Je revois, devant la boutique d’un coiffeur de la rue de Grenelle, une magnifique chevelure féminine gisant sur le pavé. Je revois des idiotes lamentables tremblant de peur sous les rires de la foule. Elles n’avaient pas vendu la France, et elles n’avaient souvent rien vendu du tout.
Elles ne firent, en tous cas, de morale à personne. Tandis que les bandits à face d’apôtre, les Pétain, Laval, Darnand, Déat, Doriot, Luchaire, etc. sont partis.
Certains même, connaissant leur puissance, restent tranquillement chez eux, dans l’espoir de recommencer demain."
12 commentaires:
Il n'est pas superflu de rappeler ces faits.
Mon père, républicain espagnol, livré par la police française aux autorités allemandes, déporté en camp de travail, évadé trois jours après, et officier dans le maquis du sud-ouest disait qu'il dut avec ses camarades, protéger ces pauvres femmes de l'hystérie collective de ceux qui n'avaient jamais résisté, ni à leurs bas instincts ni aux trafiques de tous ordres.
Une foule en colère, il n'y a rien de plus incontrôlable, de plus sourd. Voir de plus animal.
Quant à savoir ce que nous nous aurions fait, il y a aussi une belle chanson de Goldman, "né un 17 à Leindenstadt", ou le chanteur se demande ce qu'aurait été nos actes, suivant l'époque, la situation, et le camp...
"Serions-nous de ceux qui résistent ou bien les moutons d'un troupeau...".
C'est vrai qu'on serait tenté de dire "Moi j'aurais fait ça...". Mais une fois mis dans la situation, dans le contexte, les choses ne sont plus tout à fait pareils. Nos choix se retrouvent influencés par l'entourage, la situation, le stress, la panique... la peur. Dans ces cas là, la frontière entre le bien et le mal devient plus difficile à cerner.
Du coup, les commentaires sont plus graves et moins légers, mais au final, j'aime bien aussi quand ça réfléchit.
Merci de vos réactions...
Mais Stan on répond léger pour un sujet léger, là votre article dépasse largement le contexte habituel...Et merci pour le "ça" réfléchit...ça fait plaisir à entendre...
@ Pan: Non, évidemment que la réflexion est là à chaque fois. Disons que c'est par opposition à la légèreté usuelle que nous avons ici entre nous sur les sujets fesse, là on creuse sans doute plus. Rien de péjoratif...
D'ailleurs vous avez sûrement un avis...
Bien sûr que j'ai un avis, je déteste les phénomènes de foule ou suivre la masse mais je partage aussi ce que dit Greg, il faut se remettre dans le contexte de l'époque... Mais... je pense également que j'aurais été au bout de ma passion amoureuse avec l'homme que j'aurais aimé, peu alors m'aurait importé qu'il ait été allemand ou non et.. j'aurais certainement été fessée, tondue etc, etc...
"C'est un propriétaire qui va voir son locataire mauvais payeur et lui dit :
- Vous me devez 9 mois de loyer. Dehors !
Et le locataire de répondre :
- Moi, partir sans payer ? Jamais !"
Évidemment, c'est plus léger, mais j'ai bien peur d'être hors sujet !
En tout cas, un bon Post qui offre une bonne réflexion, c'est utile aussi parfois.
Merci E. pour tes sujets variés.
C'est sûr, c'est carrément hors sujet Greg, ou alors il y a une fine allusion que je n'ai pas saisie (rires)...
L'ami Greg (si si, l'ami) est parfois futile et moqueur... C'est un hors sujet "apaisant" visiblement volontaire pour éviter les tensions inhérentes au post, dont le sujet n'est pas drôle...
Mais ici point de limbes. On dit ce qu'on pense. On pense ce qu'on dit.
Ce n’est pas si hors sujet que ça ; il y a quand même l’idée de punition et l’éventualité qu’elle soit faite au travers d’un acte qui nous « relie », celui de la fessée (publique ou non).
Je connais bien sûr cette partie de l’histoire et je pense comme Panaché que la passion amoureuse peu ‘tout emporter sur son passage’. Jusqu’à la possibilité d’aimer l’autre ‘camp’.
Toutefois et pour revenir au sujet ‘fessée’ il me semble que je fais la distinction entre une fessée donnée pour des motifs aliénants et une fessée offerte par plaisir (malgré la ‘procuration’ de punition).
Difficile de savoir comment on réagirait...Difficile de réagir par rapport à des choses que l'on n'a pas vécu mais c'est un sujet brûlant qui m'a toujours interpellée...sourire
ien le bonjour chez vous...
Je regarde ce soir "histoires interdites" sur D8, et c'est une page noire de notre Histoire, que cette épuration sans discernement... à voir en replay pour ceux qui ont raté. c'est édifiant.
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