C'est en couverture d'un quotidien national. La fessée s'affiche en Une du journal et renvoie à un article de fond plutôt réussi sur le sujet, paru dans Libé ce 3 décembre 2010.
Signé par deux femmes journalistes, Marie-Joëlle Gros et Catherine Mallaval.
Sujet scabreux, elles s'en sortent bien. "La fessée à confesse", qu'elles disent... Utilisant la sortie du bouquin de Feixas (JCG, 29,90 euros) - dont on apprend au passage qu'il exerça à la brigade des mœurs - l'article survole le sujet avec justesse et quelques inédits.
"Ouille. Punitive ou coquine, histoire d’une correction vieille comme le monde...
Il y a des jours où l’on reçoit l’actualité de plein fouet. Ce fut le cas avec un ouvrage signé Jean Feixas, collectionneur et ex-commissaire de police à la brigade des mœurs, intitulé Histoire de la fessée, de la sévère à la voluptueuse. C’est un émoi dès la couverture avec le cliché noir et blanc d’un appétissant derrière, offert et rebondi et qui se poursuit sur 300 pages, délicieusement illustrées de machines à claquer le popotin, de scènes de châtiment qui fleurent bon le péché, de petits vicelards détroussés…
Le texte, lui, déborde de la passion de l’auteur, qui s’est fendu de recherches jusque dans les tréfonds des secrets de couvents et monastères, sans oublier les préceptes du Kama Sutra ou les émoustillantes chroniques de la Mondaine. Aïe ? Au fond, même un poil confus, cette ode au panpancucul fait du bien là où ça fait mal. À condition de s’y adonner par petites touches…
On y a donc pioché avec délectation quelques faits essentiels sur cette punition, vieille comme le postérieur humain, dénoncée jusqu’au Conseil de l’Europe quand elle frappe les enfants, mais toujours encensée dans quelques clubs privés. Et vlan en six coups:
F comme fouet...
Ce ne sont pas les instruments (hors une simple main nue) qui manquent lorsqu’il s’agit de fesser. On connaît les classiques fouets "la terreur des gosses, l’espoir des vieillards", selon Romain Coolus, en 1934 ou martinets (merci au sieur Martinet, tacticien militaire français du XVIIe siècle, à qui l’on doit aussi la baïonnette), mais la rosserie humaine est bien plus créative.
Qui peut encore témoigner des méfaits du "castigateur orthomatique" ? Venu d’outre-Manche, l’engin est ainsi décrit dans les gazettes des années 1910: "il se compose d’une chaise qui agrippe le délinquant dès qu’on l’y fait asseoir; un système de coulisses et de panneaux délimite exactement la portion de son anatomie sur laquelle on doit opérer, et un mécanisme très précis règle le nombre et l’intensité des coups que lui administre un rotin de la plus grande souplesse, en même temps, un phonographe Edison lui dévide des maximes morales, reproches, exhortations, etc. Le tout à un diapason assez aigu pour couvrir les cris du coupable.» Cette machine diabolique était destinée aux collégiens récalcitrants.
Chaque continent a su inventer un système de fessées mécaniques. Les Américains mirent au point un martinet électrique, un "progrès notable", relève l’auteur, sur les appareils à ressorts, à pédales ou même à vapeur…
E comme ecclésiastique...
Les Espagnols disent "je suis le cul du moine" quand ils sont très fatigués. Autant dire, comme roués de coups. Et Dieu sait si le clergé fut longtemps fessé. Dès le milieu du XIe siècle, la flagellation est au top des pénitences. Sur soi et sur les autres. Mais ne fesse pas qui veut. On a le sens de la hiérarchie: les doyens cinglaient les chanoines, les évêques fouettaient les doyens, qui étaient eux-mêmes fessés par le pape en personne.
Mais le clergé fessa aussi allègrement hors de ses rangs. La fessée disciplinaire connut son "plein-emploi" dans les collèges quatre siècles durant, du XVe au XVIIIe siècle. Les règlements étaient particulièrement sévères dans les établissements scolaires tenus par des religieux, explique Feixas. Les cancres et insoumis recevaient le plus souvent leur volée en public et au réfectoire, après les repas. Avec obligation de dire merci.
Dans les collèges de Jésuites, on raffina jusqu’à désigner un moine fesseur, comme il existait un frère portier ou un frère économe. Quand au début du XIXe siècle, les Jésuites voulurent à nouveau diriger l’enseignement, le chansonnier Pierre-Jean de Béranger (1780-1857) composa, en 1819, sa célèbre chanson "les Révérends Pères", dont voici un extrait:
"Nous sommes, nous sommes Jésuites
Français, tremblez tous: nous vous bénissons.
Et puis nous fessons,
Et nous refessons,
Les jolis petits, les jolis garçons !" Sacré casseur de curés, ce Béranger.
S comme sexe...
"Les coups sont une sorte de mignardise", annonce d’emblée le Kama Sutra (entre adultes consentants, s’entend), qui détaille les sons, sifflements et petits cris accompagnant une bonne fessée. Ainsi le son "Phat" imite-t-il le bambou que l’on fend. "Phut", le son d’un objet qui tombe dans l’eau… Mais on peut aussi agrémenter l’affaire avec "l’imitation du bourdonnement des abeilles, du roucoulement de la colombe et du coucou, du cri du perroquet, du piaillement du moineau, du sifflement du canard, de la cascadette de la caille et du gloussement du paon". Chiadée, la leçon de fessée.
L’âge d’or de la fessée coquine culmine, à en croire l’auteur, dans les années 20. La fessée devint alors la diversion sexuelle par excellence. Avec des établissements dédiés à ce châtiment. En 1935, un Guide rose décerna même des étoiles aux mieux équipés. Comprendre ceux qui proposaient des anneaux, des chevalets, des fouets, des miroirs… Aujourd’hui, selon l’ex-commissaire, la fessée est toujours là, mais servie dans des alcôves discrètes.
S comme soulagement...
Sadique la fessée ? Certes, mais pas seulement. Et nombreux sont ceux qui lui ont prêté toutes sortes de vertus thérapeutiques. Sénèque lui-même soutint que la flagellation dissipait certaines fièvres "parce que le mouvement réchauffait et divisait l’humeur âcre, épaisse et noire stagnante dans les viscères..."
Après lui, un certain Caelius Aurélianus (1450-1525) assurait que la fessée traitait la mélancolie érotique et les délires en général. D’autres, au XVIIe siècle, crièrent au remède miracle contre la constipation. Et le pipi au lit des petits.
Encore au XIXe siècle, le grand dictionnaire universel Larousse assurait que "la flagellation modifiait la paralysie de la vessie, l’impuissance et la frigidité, et les paraplégies anciennes ou incomplètes."
É comme émule...
La liste de ses adeptes est longue comme un jour sans fessée. On y va.
Jules et Édouard de Goncourt: «Les enfants sont comme la crème: les plus fouettés sont les meilleurs.» Anatole France, prix Nobel 1921: «Si les manouvriers et ménagères sont probes et respectueux du bien d’autrui, ces sentiments leur ont été inculqués dès l’enfance par leurs père et mère qui les ont suffisamment fessés et leur ont fait entrer les vertus par le cul.» Claude Chabrol: «J’ai un remède pour la démocratie: à chaque erreur d’un homme politique, une fessée place de la Concorde !» Madonna dans Voici, 4 octobre 1993: "J’aime qu’on me gifle les seins ou qu’on me claque le cul. Pas trop fort, mais suffisamment pour en sentir les brûlures." Etc.
Mais une des figures historiques de la fessée reste Catherine II de Russie, qui se faisait maltraiter avec délice par son favori, le prince Potemkine. Et pas seulement par lui. On raconte qu’un jour, un imprudent lui claqua le derrière alors qu’elle était accoudée à une fenêtre. Cet homme dut son salut à ce trait d’esprit qui ravit la tsarine: "Si sa Majesté a le cœur aussi dur que les fesses, je suis perdu !"
E comme ennemis...
Montaigne fut l’un des premiers à en dénoncer la cruauté. De même que Rabelais, dans la bouche de Pantagruel: "Messieurs, si vous ne cessez de fouetter ces enfants, je m’en retourne !"
Aujourd’hui, le plus banal des châtiments corporels contre les enfants (avec la gifle) a une foule de détracteurs, dont les psys qui la considèrent humiliante et un rien perverse. La Suède fut le premier pays à promulguer une loi antifessée en 1977. Régulièrement, et encore en 2010, le Conseil de l’Europe cogne contre la fessée.
Fini de dire: "Fessez, fessez, la peau du cul revient toujours..."
Texte © Libération
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