Venu de loin.
D'Asie. D'une petite île des Philippines où elle réside à des milliers de miles d'ici, la délicieuse Chut s'y est collée elle aussi, délaissant pour ce faire un instant son blog le temps de quelques lignes... faisant allégrement mentir son intrigant pseudo.
Un long texte...
Même si elle m'y a autorisé, je n'en couperai évidemment pas une ligne. Je vais regretter de n'avoir jamais tenté les "oreillers", dans les hôtels... Non, je plaisante.
In extenso donc, vous dégusterez cette "non-suite en miroir !"
"La veille du dîner, il avait dit:
- "Un porte-jarretelles rouge et des bas couture noirs."
Andora avait répondu:
- "Bien sûr, monsieur. C’est noté."
J’aurais voulu protester que je n’avais aucun porte-jarretelles rouge. Que le blanc, le crème ou l’écru se marierait mieux à ma peau dorée. Qu’il faisait trop froid pour oser des bas sous une jupe de tailleur. Que le modèle "couture" m’irritait l’arrière des cuisses.
Que l’ensemble faisait un peu pute, aussi.
Que l’ensemble faisait un peu pute, aussi.
Oui, j’aurais voulu protester, mais le savais d’avance: avec Andora, c’eût été peine perdue. Aussi me trouvais-je là, à cette table de restaurant, avec un porte-jarretelles rouge tout neuf, des bas couture noirs et un grand sourire collé en travers du visage comme une tache de sauce sur un gilet.
Celle de mon voisin de droite, par exemple. Suisse, homme d’affaires, bedonnant et plein aux as, à la lippe aussi molle que la main. Lors des présentations, quand il saisit la mienne pour la porter à sa bouche, je crus au baiser d’une limace. Et souris, d’un sourire ravi de femme conquise, de ce sourire qui le fit sourire aussi, cet homme qui me voulait en porte-jarretelles rouge et en bas couture noirs.
Quand le Suisse, lâchant enfin ma main, se déclara "enchanté de rencontrer une si charmante collaboratrice de monsieur Ponson du Terrail", nos regards se croisèrent.
'Ponson du Terrail"! J’ignorais en vérité jusqu’à ton nom. À Andora tu avais donné un faux, évidemment. Dans son carnet tu t’appelais Debat, avec un T à la fin. Un T comme trouillard et comme menteur au milieu.
Ponson du Terrail t’allait tout de même mieux. Patronyme plus noble pour ta carrure de hobereau, tes cheveux grisonnants et tes larges paumes.
Quand je répondis au Suisse: "oh, mais tout le plaisir est pour moi !", tu dû te féliciter de ton choix. Te dire que j’étais une bonne comédienne. Que ma présence à ce dîner, qui ne devait rien au hasard mais tout à ta volonté, te simplifierait les négociations pour ton contrat.
C’est ainsi que ça s’était passé la première fois. Sauf que mon voisin de table était allemand, que je portais une guêpière bleu ciel et des collants fumés, pas de culotte mais toujours mon sourire.
Après le repas, une fois les papiers signés, mes lèvres écarlates s’étaient refermées sur ta queue et, haletant, gémissant, tu avais dit:
- "La prochaine fois, c’est encore toi que je choisirai."
Paroles, paroles… Les clients promettent toujours beaucoup avant et tiennent rarement après. Leurs engagements fondent avec leur jouissance, et c’est de leurs bonnes résolutions qu’ils se rhabillent.
Caleçon. Ne plus jamais appeler Andora, «La Madame».
Chemise. Ne plus tromper leur épouse, quitte à rater un dîner d’affaires.
Costume. Ne plus dépenser autant d’argent pour une fille, fût-elle de joie.
Manteau. Oublier le corps-à-corps moite de la chambre louée pour la nuit mais ne servant que pour une heure, ce corps-à-cul qui n’a d’ailleurs jamais existé.
Gants. Tes doigts étaient sortis de ta poche garnis de billets. Leurs zéros m’avaient effacée avec ton départ. Dans la salle de bains, la glace ne me renvoyait plus mon reflet mais celui d’une femme aux épaules gommées, aux seins oblitérés et au cou orné d’un suçon violacé. Cette rosace était la marque de ton empreinte. De moi, il ne te restait rien mais de ma peau, tu prendrais quelques jours pour disparaître.
Plus tôt, tandis que ma bouche s’activait sur ta verge, pinçait ton gland et filait, soudain paresseuse, vers tes testicules, tu répétas:
- "Oui… La prochaine fois… c’est encore toi… que je choisirai…"
Je souris alors que tu éclatais sur ma langue. Ton foutre avait le goût doux-amer de la tarte servie en dessert.
- "File m’attendre dans la chambre !"
Ton ordre me tira de ma rêverie comme un coup de martinet, fissurant mon sourire de ses lanières. Tu as parlé bas, trop bas pour que mon voisin suisse ne t’entende. Et clair, si clair qu’un à un, tes mots entrèrent dans ma chair telles des épingles, des clous qui me rivèrent à ma chaise, stupéfaite et vaincue, paupières arrondies de surprise, ventre convulsé sous le porte-jarretelles, cuisses tétanisées sous les bas.
Je n’eus pas un geste, pas une esquisse d’obéissance ni de révolte.
Tu supposas que je ne t’avais pas compris. Alors tes lèvres épelèrent entre tes dents, dans un parfait silence de commandement:
- "File…"
Front vallonné de rides, sourcils rejoints en une seule ligne, ton visage n’avait rien d’un Debat mais tout d’un Ponson du Terrail.
- "… m’attendre…"
Jaillie de ta manche, la clé de la chambre buta contre ma cuisse comme jadis ton sexe au fond de ma gorge. Je la saisis et manquai de la lâcher comme si son métal m’avait brûlée.
- "… dans la chambre !"
Entre mes ongles, ma serviette était trempée. Je la posai à la diagonale de mon assiette, salie de ma sueur et des restes de blanquette. Me levai brusquement en évitant ton regard. Quittai la table sans une excuse, joues rougies et rage au cœur.
J’avais l’air de quoi, là ? D’une gamine qu’on réprimande, d’une effrontée qu’on punit, d’une collégienne mise au piquet. Et soudain je te détestai. Te détestai à la mesure de ton autorité. Te détestai autant que je te désirais.
- "Règle numéro un: ne jamais laisser un client prendre le pouvoir !" serinait à mes oreilles la voix d’Andora. La mienne, chancelante, martelait en écho: "Faute professionnelle, ma belle… Faute professionnelle."
Alors je me vengeai. Et parce que je sentais que, dans mon dos, tu t’attardais sur mes fesses, te demandais si j’avais respecté les contraintes du porte-jarretelles rouge et des bas couture noirs, me frayais un chemin entre les tables, louvoyais entre les serveurs en tanguant, chaloupant, ondoyant, roulant du cul tel un navire en pleine tempête, ébouriffée par les vagues de tes yeux et l’écume de ton désir.
Il ne fallait pas me parler comme ça.
Il ne fallait pas me priver de dessert.
Il ne fallait pas me mettre à nu. De retour à l’agence, je demanderai un supplément à Andora.
- "Client difficile !" prétexterai-je en caressant, sous l’étoffe de ma jupe, les marques que tu m’auras infligées. Ma peau aura besoin de quelques jours pour cicatriser. Toi, à coup de billets, tu penseras m’avoir effacée.
Jusqu’à la prochaine fois.
Si j’en crois le Suisse, tu auras bientôt un autre dîner d’affaires. Peu importe que mon voisin soit norvégien, anglais ou australien, c’est encore moi que tu choisiras.
Inutile de le nier. Inutile de le promettre. Je le sais aussi sûrement que si j’avais enfoncé ma fourchette dans tes orbites et découpé ton crâne au couteau à rôti.
Soudain légère, j’appuie sur le bouton de l’ascenseur. Me retourne et lève, à la façon d’une coupe de champagne, la clé de notre chambre. Les serpentins de laines accrochés au métal effleurent ma paume en un prémonitoire martinet, dérisoires flammèches que bientôt tu abandonneras pour me saisir à même la taille, me renverser sur les oreillers et me ployer sous la force de ton corps lourd, une paume battant ma croupe, l’autre rentrant dans ma gorge les mots que je te crierai, ces mots qu’abandonné à ton plaisir, tu refuseras d’entendre.
Ton dessert vient d’arriver. Aujourd’hui, ton foutre aura le goût de crème brûlée.
Troisième étage. Porte 316.
Je souris."
Texte © Chut - 2010
Images © Elmer Batters - Ron Pippin
6 commentaires:
J'adore, j'adore. Quel talent!!
Une atmosphère très particulière et une réelle originalité dans le scénario.
De loin, mais si....proche de 'vous'.
Merci Nush !!!
Et merci au maître de cérémonie de ce blog et à son accueil si... chaleureux. Je n'ai pas dit "cuisant", même si le monsieur sait être aussi incisif que piquant. :)
(Les oreillers, vous devriez vraiment essayer !).
Histoire de code. Une fois... Seul dans un Salon. Hôtel, la réception, d"une grande ville qui a l'habitude des conventions et des hommes politiques en goguette. Je suis monté déposer ma valise et j'ai constaté que le grand lit n'avait qu'un traversin et un oreiller très fin.
Avant le dîner, je demande au jeune homme derrière le desk qu'on me monte un deuxième oreiller, "parce que je dors mal sans, quand je suis loin de chez moi"...
Vers 22h30, je suis remonté dans ma chambre. Personne n'est venu déposer quoi que ce soit. je décroche le téléphone pour appeler l'accueil, quand on toque à la porte.
Une grande nana brune souriante sur le palier me fait face. Sexy, habillée "fille". Avenante.
Dans cette ville qui fait l'Europe, un "oreiller"... c'est le code pour une call girl.
Pour celles qui poseront la question... Dans les hôtels, je ne prends jamais rien dans le mini-bar, pour ne pas gonfler la note artificiellement, pas plus que je ne me sers du téléphone, y compris dans ces endroits qui mettent des brouilleurs, pour que leurs clients consomment comme avant, sans utiliser leur GSM personnel...
Alors un "oreiller", hein. entre 500 et 1 500 euros la nuit au tarif Europe, autant vous dire que...
Super, le coup de l'oreiller ! :D
Bravo Chut !
Le récit le plus sexe !
Le plus goutu, aussi ! ;)
Bravo Chut!
Des images évocatrices de tempêtes marines qui ,sous votre plume, deviennent sensuelles,à celles de découpages culinaires aux relents de torture, un récit "choc" qui ne laisse pas indifférent, c'est le moins qu'on puisse dire!
Encore une fois, Bravo!:)
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